À la source du geste ou Laisser advenir
Leïla Rose Willis a toujours cherché dans son travail une forme de connexion profonde à l’instant présent et à l’environnement, que ce soit par des gestes simples ou des matériaux accessibles. Sa démarche artistique, marquée par l’immédiateté et la captation intuitive, trouve une continuité naturelle dans son intérêt pour la méditation et la transe, pratiques favorisant un état de pleine conscience et une immersion totale dans l’instant. Ces expériences enrichissent son processus créatif en approfondissant sa capacité à capter et retranscrire des images suspendues entre rêve et réalité.
Cette attention portée à l’instant présent et à son environnement se reflète dans les formes et les motifs qui caractérisent ses œuvres. Dans une infinité de variations, on retrouve des lignes et des motifs qui dialoguent d’une œuvre à l’autre. Ces éléments évoluent au fil des projets : ils s’étirent, s’épaississent et se transforment, m’évoquant des formes organiques ou des symboles énigmatiques. Tout se rejoint, s’entremêle, s’enrichit mutuellement.
Les œuvres de Leïla Rose Willis partagent une caractéristique essentielle : elles offrent à la forme et à la ligne une liberté de mouvement dans l’espace du dessin ou de la peinture. Le support, qu’il s’agisse de papier, de bois ou de tissu, devient alors le théâtre d’un véritable événement visuel. Les couleurs associées aux formes souples et légères diffusent une impression de gaité. Une poésie du geste s’en dégage, portée par une fluidité dans la composition et une grande délicatesse dans l’approche.
Cette fluidité des formes et des motifs s’inscrit également dans une réflexion plus large sur le lien (1) entre le corps et la création. Dans un entretien , Jacques Derrida évoque la relation intime entre
le corps et l’acte d’écriture, soulignant comment des gestes inhabituels, comme écrire avec la main non dominante ou dessiner avec les bras écartés, peuvent influencer la création artistique. Cette pratique libère l’artiste des influences extérieures, permettant d’exprimer l’essence de sa personnalité à travers son corps.
Cette exploration du lien entre le geste corporel et la création trouve une application concrète dans les projets de Leïla Rose Willis, où le dessin, loin de se limiter à une simple surface, devient une expérience physique. Il se déploie sur son support ou, au contraire, lui donne forme, comme c’est le cas par exemple dans Élémentaux ou Crystallise, où le pliage se substitue à la peinture et à l’encre. L’artiste va encore plus loin dans sa démarche en nous le montrant en train de se créer. Dans la performance Unfoldtranse, l’artiste, ambidextre depuis peu, réalise en direct une composition symétrique, démontrant une grande maîtrise technique et une coordination physique. Habillée entièrement de blanc et dissimulée derrière un voile de la même couleur, elle s’efface pour que notre attention se porte exclusivement sur le processus de création. En rompant avec ses habitudes gestuelles, en dessinant ici avec ses deux mains, Leïla Rose Willis insuffle une vibration unique à son œuvre. L’artiste nous partage un moment auquel nous avons rarement l’occasion d’assister. Nous sommes alors témoins d’une pratique où l’intuitif rencontre le technique, où le geste et la matière dialoguent avec l’instant présent dans une profonde sensibilité. Leïla Rose Willis nous invite à percevoir une intensité du monde, réinventée à chaque trait et qui se crée sous nos yeux.
Leïla Simon, 2024
1 « Entre le corps écrivant et l’écriture… » entretien avec Jacques Derrida, mené par Daniel Ferrer, 2001.